CHAPITRE 2 : CICATRICES DU PASSÉ
Un long silence régnait depuis quelques minutes dans le bureau du Dr. Wild. Ce dernier observaient silencieusement ses deux patients, assis sur le canapé à l'opposés de l'autre, adoptant la même positon : bras croisés contre leur corps, le regard fixe avec un mutisme complet. Des signes non-verbaux prouvant qu'il s'était effectivement passé quelque chose...
Wild racla sa gorge puis leur demanda :
— Avez-vous parlé de cette ligne entre vous, comme je vous l'avais conseillé ?
Déstabilisés par la question, aucun des deux protagonistes ne répondirent et préférèrent fixer un point invisible sur le sol.
Le psychologue comprit le message et enchaina :
— Bien… nous verrons ça plus tard. Alors Cal, comment vous portez vous depuis qu'on vous a tiré dessus ?
— Troué, répondit sèchement l'expert en mensonge.
Wild fronça ses sourcils d'incompréhension et désira obtenir plus d'informations :
— Que voulez-vous dire par là ?
— Que j'ai dû racheter une veste qui m'a coûté la peau des fesses !
— Je voulais dire émotionnellement parlant, comment vous sentez vous ?
— Bien.
— Bien ?
— Bah... Je ne vais pas non plus vous dire que je vais sauté au plafond !
Aux réponses sèches de Cal ainsi qu'aux attitudes corporels de ses patients, Wild songea que cela n'avaient rien d'hasardeux.
— Je vois..., soupira l'homme à lunettes en redressant celle-ci sur son nez. — Il s'est passé quelque chose de particulier aujourd'hui ?
Les deux expert en mensonge changèrent simultanément de position. Un point sensible venait d'être touché... Wild changea de tactique et interpella sa deuxième patiente en espérant plus de coopération de sa part.
— Gillian ?
Un silence puis...
— Andrew est passé au bureau...
— Andrew ? Votre compagnon ?
— C'est ça.
Le psychologue remarqua la mâchoire de Cal se contracter et s'empressa de le faire réagir sur le sujet :
— Un problème Cal ?
— Comme tout le monde, ironisa t-il, alors que le psychologue lâcha un soupir amusé. Wild ne s'attarda pas sur ces dires et continua avec Foster.
— Depuis combien de temps êtes-vous avec Andrew, Gillian ?
— Ça va faire… 1 mois.
— 1 mois de trop…, marmonna Cal pour lui-même.
— Que fait-il dans la vie ?
— Il est instituteur dans une école primaire.
Un léger sourire apparut sur les lèvres de Foster, Wild en prit note.
— Bien. Et... que faisait votre ancien petit-ami ?
— C'est un peu compliqué… mais pour faire court, il s'occupait d'enfants en difficultés.
— Je vois que vous aimez vous entourer d'hommes qui apprécient les enfants et qui leur offre une certaine protection, remarqua le psychologue souriant.
— C'est vrai…, approuva t-elle avec un léger rire. Je n'en avais jamais fait le rapprochement…
— Il n'est pas impossible qu'à travers ces hommes là vous cherchez à vous sentir rassurer et protéger. Vous m'aviez dit avoir déjà été mariée ?
— Oui. Alec… Il travaillait comme haut fonctionnaire dans le département d'état…
À la description de son ex, une expression de tristesse fuita sur le visage de la jeune femme. Une émotion que Wild capta avec plus au moins d'interrogation. Il sembla réfléchir et pour approfondir ses pensées, poursuivit :
— Combien de temps avez-vous été mariée avec lui ?
— Plusieurs années…
Il comprit qu'en ne donnant pas de chiffre, elle utilisait un système de distanciation afin d'éviter le sujet. Désireux d'en savoir plus, il posa la question ultime :
— Pourquoi avoir divorcé ?
Elle se figea. Plus aucun mots ne sortis de sa bouche. Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas répondre à la question mais c'était simplement qu'elle n'en avait pas la réponse…
— Si je vous pose cette question, c'est parce que je ne pense pas que le fait que vous ne pouviez pas avoir d'enfant ensemble soit la seule raison de votre séparation.
Wild marqua une pause puis enchaina :
— Au fond de vous, vous vouliez que votre relation perdure puisque vous avez décidé d'adopter. Ce qui prouve que vous l'aimiez profondément. Je pense qu'il y avait autre chose... Quelque chose de lui que vous ne saviez pas, une partie de sa personnalité qu'il vous cachait…
Elle ferma ses yeux. Il avait réussi à fissurer sa réticence de s'ouvrir à ce sujet pénible.
— Alec..., soupira t-elle avant de plonger son regard incertain dans celui attentif du psychologue. — Alec se droguait...
Elle avait réussi à le dire avec une pointe d'amertume dans sa voix. Wild savait que c'était un aveu difficile mais nécessaire. N'aimant pas ressasser le passé douloureux de son amie, Cal réprima son ressentiment par une petite moue de sa bouche en restant en retrait dans la conversation.
— Au départ je n'étais pas au courante. Bien que parfois il adoptait des comportements étranges... Je ne m'en formalisais pas plus que ça. Je pensais que c'était peut-être dû à son travail. Je sais qu'ils sont parfois mis sous pression... Jusqu'au jour... où je suis rentrée plus tôt que prévu et que je l'ai vu...
— Se droguer ? termina Wild pour sa patiente en difficulté.
— Oui... Par la suite, il m'a avoué son addiction à la drogue. Nous en avons longuement discuté... Je lui ai dit que je serai là pour lui, que je le soutiendrai dans cette épreuve. Je l'ai même convaincu d'aller voir un thérapeute et des groupes d'aide pour essayer d'affronter cette maladie mais…
— Il a replongé ?
— Plusieurs fois...
— Vous vouliez le sauver, mais ce fut un échec. Et un jour, vous avez pensé que vous ne pourriez plus rien pour lui. Que vous aviez déjà mis trop d'effort pour sauvez ce qui restait de votre couple. Bien qu'au fond de vous-même, je pense que vous saviez que cela se finirait ainsi...
Gillian ne répondit pas, mais son visage cautionna ses paroles.
— Après ça, vous avez préféré chercher un autre profil d'homme. Celui qui vous protège et non pas le contraire. Comme avec votre ami, il est là, vous protège, vous soutient. Vous avez besoin de lui comme il a besoin de vous, allégua t-il d'un geste de la main pour appuyer ses propos.
— Depuis que nous nous connaissons, Cal… a toujours été là pour moi dans chaque moment de ma vie... Et je l'en remercierai jamais assez d'être... présent tout simplement..., confessa posément Gillian.
Suite à cet aveu, Cal ne put s'empêcher d'émettre un raclement de gorge avant d'effectuer un changement de position corporel. Wild comprit que les propos sincères de la jeune femme avait dû le toucher mais qu'il ne souhaitait pas l'afficher publiquement. Il nota quelques mots sur son carnet, regarda Cal et l'interrogea :
— Et vous Cal ? Vous êtes marié ?
— Divorcé.
— Combien de temps ?
— 14 ans.
— Précis comme chiffre.
— J'voulais un chiffre rond mais c'est elle qui n'était pas d'accord.
— Je vois..., souffla rieur Wild. Quelle était sa profession ?
— Avocate.
— Vous avez eu des enfants ?
— Une fille.
Par ses réponses expresses, le psychologue comprit que son patient tentait d'être le plus concis possible afin qu'il ne puisse pas émettre une analyse clair sur son profil. Bien évidemment... c'était mal le connaitre.
— Quel âge a t-elle ?
— 16 ans.
— Vous vous êtes marié parce qu'elle était enceinte ou...
— Par amour ?
— Oui.
— Je l'aimais.
— Et pourquoi avoir divorcé après 14 ans de mariage ?
Cal garda le silence. Pourquoi répondre... Wild le regarda faire, et exposa :
— Je ne pense pas que la raison de votre séparation soit dû par la cause d'une infidélité. Vous êtes incapable de faire souffrir une personne en la trompant. La confiance semble être quelque chose de très important à vos yeux... Je pense plutôt que votre côté sur-protecteur a repris le dessus. Vous avez sans doute tellement voulu qu'elle ne puisse pas souffrir, comme le monde qui l'entour, que vous l'avez étouffé. Ou bien peut-être qu'elle ne pouvait tout simplement plus gérer votre recherche intempestive de vérité...
Pour couper court aux vérités dérangeantes, Cal répliqua :
— Elle préférait les grands bruns.
— Votre fille vit bien votre séparation ?
— Nous faisons en sorte de garder de bonne relation pour ne pas qu'elle puisse en subir des répercutions. On fait des sorties en famille et parfois on fête Noël ou Thanksgiving ensemble... On est une famille.
— Comment définiriez-vous votre relation avec votre fille ?
— On est proche. Elle peut me parler de tout, elle sait que je ne la jugerai pas.
— Vous avez dû établir un lien très fort avec elle comme avec Gillian. Un lien pouvant parfois attiser la jalousie de votre ex-femme.
Gillian tiqua à ses mots alors que Cal ne les réfuta pas.
— Bien que je suppose que celui-ci peut être par moment très conflictuel. Vous ne pensez pas la sur-protéger un peu trop par moment ?
— Je suis un père. Je la protège c'est mon devoir.
— Qu'en pensez-vous Gillian ?
Le psychologue venait de focaliser son attention sur sa patiente. Surprise par cet intérêt soudain, elle chercha quoi pouvoir dire et balbutia :
— Je n'ai pas vraiment à donner mon avis... Je suis juste une amie, c'est sa fille...
Wild tourna son regard sur Cal.
— Cal, comment détermineriez-vous la relation entre votre fille...?
— Emily.
— Emily et Gillian ?
— Je ne sais pas…c'est... Elle est une sorte de deuxième mère.
Il avait prononcé ces mots avec une telle rapidité et un tel sérieux que cela avait fait bondir le coeur de son amie dans sa poitrine. Il le pensait vraiment…
— Je n'irai pas jusque là, répliqua Gillian, d'un sourire gêné.
La réaction de Foster intrigua Wild. Il la désigna, comme à son habitude avec son stylo, et lui demanda :
— Pourquoi vous sentez-vous gênée par les propos de Cal, Gillian ?
— Heu...c'est juste que...
Elle bafouilla et se toucha mécaniquement le front. Un signe de sa gêne immédiate. Cal le remarqua et exprima un air d'incompréhension à ce fait.
— Je suis plus une amie ou une confidente qu'une sorte de mère...
— Arrête Gillian... Tu sais très bien que pour Em' tu es bien plus que cela ! rétorqua le père dans la seconde.
— Cal...
Le psychologue les observa faire. Il s'imposa même de ne pas parler pendant un instant avant de reprendre :
— Gillian, pourquoi avez-vous dû mal à accepter le fait que pour Cal vous occupez une grande place dans sa vie ainsi que dans sa famille ?
— Et bien je... je suis une amie et...
— Tu es bien plus que cela..., murmura l'expert en mensonge en fixant un point invisible au sol. Wild intercepta ces paroles sincères ainsi que les expressions gênés des deux amis qui s'en étaient résultées. Ce n'était pas encore le moment. Pour le bien de ses patients, le psychologue bifurqua sur un autre sujet :
— Revenons à Emily... Cal, cela vous arrive t-il de discuter de votre vie privée avec votre fille ?
— Oui, parfois.
— Hmm... mais est-ce que cela vous arrivent-ils de parler de vos relations amoureuses ?
— Elle me pose des questions mais je ne préfère pas la mêler à… ça...
— Ça ? répéta Wild alors qu'il avait dû mal à prononcer le mot.
— Oui enfin vous voyez..., répondit-il, d'un geste lasse de la main.
— Cal... Après votre divorce, avez-vous déjà eu une relation sérieuse ?
— Je ne sais pas si on peut dire qu'elle était sérieuse, mais...
— Vous teniez à cette personne.
— Oui...
— Vous en avez eu beaucoup ?
— On peut dire que mon agenda à presque atteint le "Z", stipula t-il avec un air sérieux.
Une révélation qui arracha un demi-rire au psychologue en songeant que son patient usait encore de l'humour comme moyen de protection. Il gribouilla des notes sur son carnet et demanda :
— Pourriez-vous dire que vos relations sont éphémères ?
— Oui.
— C'est vous qui les quittez ou elles ?
Cal resta silencieux quelques secondes. Il connaissait la réponse mais le dire à haute voix sembla être une épreuve pour lui. Pourtant il s'agissait d'une vérité...
— La plus part du temps c'est moi qui coupe court aux relations.
— Je suppose que votre type de femme sont celles avec un grand tempérament, avide d'indépendance, imprévisible, cherchant à tout contrôler, chose que vous avez dû mal à faire vous-même. Vous savez qu'elles vous quitteront un jour où l'autre, ce qui vous évite de les blesser. Dès que vos relations deviennent plus sérieuses, vous préférez fuir parce que vous pensez que vous pourriez vous attacher à cette personne et la blesser par ce que vous êtes. Vous refusez qu'une autre personne puisse souffrir par votre faute. Vous tentez par la même occasion de vous protéger. Et en n'intégrant pas Emily à vos histoires de coeur, vous la protégez d'un attachement qu'elle pourrait perdre comme vous et votre mère. Vous avez peur que cette histoire ce réitère donc vous préférez fuir que d'être une nouvelle fois confronté à cette sorte d'abandon dissimulé. Comme avec votre ex-femme. Refuser de voir la réalité en face et fuir la vérité. Un fait quelque peu contradictoire puisque vous la chercher.
Bien que pour le moment vous ne semblez pas vouloir la trouver puisque vous omettez complètement le fait qu'elle se trouve juste devant vous.
À ce long monologue, Cal plissa ses yeux, ouvrit sa bouche, et ne sachant quoi répondre la referma tout aussitôt. Désireux de relancer la conversation, Wild demanda :
— Quel regard Emily porte t-elle sur votre relation ?
— Que voulez-vous dire ? l'interrogea Gillian curieuse.
— Avez-vous déjà discuté de Gillian avec Emily, Cal ?
Cal gratta instinctivement son oreille à cette question. Gêne ou vérité ? Wild opta pour les deux.
— Je suppose que cela veut dire oui. Je pense que..., commença à dire l'homme en ôtant ses lunettes pour porter une branche à sa bouche et mimer une expression de réflexion. — Je pense que votre fille a compris depuis bien longtemps ce qui se passait entre vous. Et qu'elle a déjà dû vous dire son point de vue mais que vous avez préféré ne pas l'écouter et refouler vos émotions comme vous l'avez toujours fait, que de prendre le risque d'être… heureux. Certainement par habitude puisque c'est le seul schéma que vous connaissez, mais surtout parce que vous avez peur qu'on vous l'arrache. Vous savez qu'il est fragile et vous êtes effrayé à l'idée d'être celui qui le brisera. Depuis la mort de votre mère, vous vous sentez coupable du malheur de toutes les personnes qui vous sont proches. Alors le seul moyen que vous avez trouvé pour les garder auprès de vous c'est de les sur-protéger. Une façon pour vous de leur dire que vous les aimez, bien qu'elles ont parfois dû mal à comprendre votre façon d'agir.
— Elles sont tout pour moi. Je ne pourrai pas vivre sans elles, affirma Lightman avec un regard sincère ancré dans celui du psychologue.
— C'est une vérité qui est partagée Cal, répondit Wild souriant. Il dériva son regard sur Gillian effectuant une micro-caresse sur sa main et songea que les gestes révélaient nos pensées.
— Il faut que vous compreniez que certaines vérités ne sont pas seulement que le résultat de mensonge, de remord, de répulsion, ou de ressentiment... Certaines vérités peuvent aussi provoquer bonheur et joie.
— Comme ? rétorqua Cal septique.
— L'amour. Peut-être avez-vous dû mal à me croire mais le sentiment amoureux est peut-être l'une des seule chose qui pourrait...
— Me sauver ? proposa t-il de manière presque ironique.
— J'allais dire vous aider, mais si c'est comme ça que vous le voyez... Vous pensez être un homme brisé ?
— Je préfère dire que je ne suis pas fréquentable.
— J'aimerais savoir... Pourquoi avoir fait le choix de ce métier ? Étudier les expressions, les gestes, les paroles... Je sais que le suicide de votre mère est en rapport mais n'y a t-il pas une autre raison…
Cal émit une petite moue de sa bouche, croisa ses mains sur son ventre et répondit :
— La vérité est la seule chose qui ne peux pas me trahir.
— Parce qu'elle est ce qu'elle est. La vérité est la seule chose à laquelle vous pouvez vous rattacher. Elle est à la fois imprévisible et inébranlable. Et peut importe la souffrance qu'elle révèle, vous avez besoin d'elle parce que vous avez trop souffert des mensonges dont vous avez été soumis étant enfant.
— Ma souffrance n'a pas d'importance.
— Pourquoi minimisez vous à chaque fois votre vécu, pourquoi refoulez vous ce que vous êtes ?
— Tout le monde souffre.
— Oui mais... à cet instant, nous sommes ici pour parler de la votre. Cal...
Wild pinça ses lèvres.
— Je veux que vous me parliez de votre enfance.
Cal se raidit. À cet instant... il voulait être à des milliers kilomètres d'ici.
— Parlez-moi de votre mère.
— Je..., Cal s'apprêta à refuser lorsqu'une main se glissa dans la sienne. Il tourna son regard et découvrit le visage de son amie l'encourageant à parler. Il déglutit. Wild, qui avait vu le geste, l'incita d'une voix posée :
— Décrivez-la moi.
Lightman sembla réfléchir quelques secondes puis débuta d'un regard perdu dans le vague :
— Elle est... elle était belle...très belle...
— Continuez...
— Elle avait de long cheveux blond et... les yeux bleus très profond...
Alors que Cal tentait de décrire sa mère disparue avec précision, Wild remarqua ses tempes se contracter à vive allure.
— Elle avait un splendide sourire... elle était magnifique...
— Comment était-elle avec vous ?
— Douce... aimante, protectrice... Une mère.
— Elle vous manque.
— On perd tous quelqu'un un jour ou l'autre.
Une nouvelle digression sur ses sentiments... Le psychologue voulut lui faire comprendre que sa douleur valait autant que n'importe quelle autre personne. D'un air compatissant, il allégua :
— Lorsqu'on perd quelqu'un de cette manière... aussi brutalement on n'en sort jamais indemne. Est-ce qu'encore aujourd'hui vous essayez de comprendre pourquoi elle s'est donnée la mort ?
— J'ai compris que le suicide est une affaire d'interprétation. Que la seule personne pouvant le comprendre est celle qui se donne la mort.
— C'est pour cela qu'à travers votre travail, vous tentez de combler ce manque de réponse en cherchant d'autre vérité que celle-ci puisque vous savez qu'elle en a aucune.
— Surement...
— Parlez-moi de votre père.
— Il n'y a rien à dire sur lui, rétorqua t-il vivement, ne souhaitant aucunement aborder ce sujet.
— Il a brisé une partie de vous. Je pense qu'il y a beaucoup de chose à dire sur lui. Il était violent avec vous.
L'expert en mensonge garda une posture fermée. Cela n'arrêta pas le psychologue qui enchaina :
— Et avec votre mère d'après ce que vous m'aviez dit. Le faisait-il même lorsqu'il n'était pas ivre ?
Gillian caressa la main de son ami qui soupira et lâcha :
— Il ne s'en privait pas si c'est ce que vous vouliez savoir.
— Cherchait-il le moindre prétexte de provocation pour voir jusqu'où vous ou votre mère étaient prêt à aller ?
— C'était son jeu favoris... Un verre mal rangé, un regard de travers...
— Il vous provoquait pour voir vos émotions. Chose que vous utilisez pour une autre cause. Pouvez-vous me raconter une anecdote sur ces provocations.
Cal chercha un souvenir qui avait marqué son enfance et malheureusement, ce n'était pas le choix qui lui manquait. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux et relata :
— Une fois... il était rentré plus tôt que prévu...
— Il avait bu ?
— Il y avait un bar juste à côté de chez nous... Il était rentré dans un état pas possible... Ce jour là j'avais cassé un vase qui n'avait aucune valeur... même pas sentimentale. C'était un accident, je courrais dans le couloir et il est tout simplement tombé... Dès qu'il est entré, il l'a vu... Je m'étais caché dans un coin pour ne pas qu'il puisse me voir...
— Qu'a t-il fait ? quémanda Wild en prenant des notes.
— Il a crié le nom de ma mère... Pour qu'elle vienne plus vite, il utilisait toujours la même phrase: "Louise ! Viens ici toute suite où j'prend le gamin!" Elle est venue... elle ne savait pas que j'avais brisé le vase... Mon père l'a regardé... Je n'oublierais jamais ce regard et cette expression de haine..., conta t-il avec dégout.
— Que s'est-il passé ensuite ?
— Il lui a demandé si c'était elle la coupable.
— Qu'a t-elle répondu ?
— Oui..., dit-il avec un regard direct alors que Gillian avait resserré son emprise. Même dans le silence, elle souhaitait lui montrer qu'elle le soutenait dans cette épreuve. Parce que pour lui cela en était une...
— Il l'a frappé ?
— Il l'a regardé puis bousculé violemment contre un mur et... Il l'a cogné de ses poings sans relâche...elle criait... elle lui suppliait d'arrêter... mais il continuait de plus en plus fort...
— Vous avez regardé sans pouvoir rien faire, conclut Wild en observant son patient se débattre avec ses pensées douloureuses.
— Je ne pouvais pas l'entendre crier, j'en pouvais plus alors…
— Vous vous êtes interposé.
— Oui... Il m'a repoussé violemment...je suis tombé sur le sol. Elle criait... Je ne pouvais pas... Je lui ai hurlé d'arrêter... mais il continuait... Et le seul moyen que j'ai trouvé pour le stopper c'était de lui crier que c'était moi le coupable... pas elle.
— Et ensuite ?
— Il a relâché ma mère, il y a eu un long silence... très long silence... Il s'est retourné lentement vers moi... Il m'a regardé avec un air meurtrier... j'ai cru que j'allais mourir...
— Il vous a battu ?
— Il m'a pris par le bras, il m'a entrainé dans le salon... ma mère criait pour qu'il me laisse tranquille, elle ne pouvait pas bougé à cause des coups... Il a fermé la porte... je... Il s'arrêta dans son discours comme si, en parlant de ces faits, il pouvait revivre la scène en directe.
— Prenez votre temps, tempéra le psychologue.
— Il a ancré son regard dans le mien et il m'a simplement dit que j'allais regretter d'être né... Que depuis que j'étais là je ne lui apportais que des emmerdements, que je ne servais à rien, que j'avais ruiné sa vie... que tout ce qu'il lui arrivait c'était de ma faute... Il a sorti sa ceinture et... il m'a dit d'enlever mon t-shirt.
— Vous l'avez fait ?
— Non, j'étais totalement paralysé...
— Vous aviez quel âge ?
— 11 ans.
— Qu'a t-il fait ?
— Il a pris une bouteille d'alcool...il l'a bu, il l'a reposé puis il s'est approché de moi, il a retiré mon t-shirt, il m'a dit de me retourner. Je ne l'ai pas fait.
— Pourquoi ?
— Je ne voulais pas lui être soumis, je voulais voir son visage pour lui montrer que je n'avais pas peur... Je voulais qu'il me regarde droit dans les yeux pour qu'il ait conscience de ses actes et de ce qu'il était. Mais il m'a clairement fait comprendre que si je ne le faisais pas, il frapperait ma mère. Donc je me suis retourné et...
Cal ne termina pas sa phrase mais le dégoût sur son visage laissait deviner la suite de son discours. Wild remarqua le regard perdu de son patient et décida de l'interpeller.
— Cal.
Le psychologue répéta une seconde fois son nom lorsque le concerné le fixa soudainement comme s'il revenait d'un cauchemar lointain. Détenant enfin son attention, Wild proclama d'un ton posé :
— Tout cela n'est pas de votre faute.
Cal contracta sa mâchoire et ne prononça aucun mot. Il n'était pas d'accord avec cet argument et il ne le serait jamais.
— Vous n'avez strictement rien à vous reprocher. Vous étiez petit...
— J'aurais dû la protéger.
— Ce n'était pas votre rôle.
— Elle est morte.
— Elle est morte à cause de votre père et surement parce qu'elle avait depuis longtemps des pensées suicidaires, dû à son propre passé ou autre. En la plaçant dans un hôpital psychiatrique vous l'avez protégé. Ce n'est pas une chose donnée d'envoyer son propre parent dans ce genre d'institut. Vous avez fait tout ce que vous pouviez. Votre mère était juste… trop fatiguée pour se battre. Elle vous aimait.
— Si elle m'aimait, elle n'aurait pas fait ça, réfuta t-il presque haineusement.
— Peut-être ne voulait-elle pas que vous voyez sa souffrance... Peut-être pensait-elle que vous méritiez un autre amour, une autre chance...
— ...
— Je crois qu'on va arrêter là pour aujourd'hui.
Wild posa son carnet à proximité pour observer les deux amis, main dans la main, le regard livide. Il se leva et proclama :
— Je vais vous raccompagner et on reprendra notre échange la semaine prochaine. D'accord ?
Gillian acquiesça silencieusement alors que Cal sembla totalement chamboulé depuis le ressassement de ce souvenir douloureux. Foster lui souffla quelques mots au creux de son oreille pour que l'expert en mensonge reprenne doucement contact avec la réalité. Il leva en même temps que son amie qui encercla son bras pour le soutenir. Wild esquissa un petit sourire et raccompagna ses patients jusqu'à sa porte. Ces derniers quittèrent le bureau du psychologue lorsque celui-ci interpella Cal:
— Vous méritez d'être heureux Cal... N'ayez pas peur...
Lightman resta impassible. D'un volte-face, il se dirigea vers l'ascenseur en compagnie de sa meilleur amie toujours à ses côtés...
À SUIVRE...
Wild racla sa gorge puis leur demanda :
— Avez-vous parlé de cette ligne entre vous, comme je vous l'avais conseillé ?
Déstabilisés par la question, aucun des deux protagonistes ne répondirent et préférèrent fixer un point invisible sur le sol.
Le psychologue comprit le message et enchaina :
— Bien… nous verrons ça plus tard. Alors Cal, comment vous portez vous depuis qu'on vous a tiré dessus ?
— Troué, répondit sèchement l'expert en mensonge.
Wild fronça ses sourcils d'incompréhension et désira obtenir plus d'informations :
— Que voulez-vous dire par là ?
— Que j'ai dû racheter une veste qui m'a coûté la peau des fesses !
— Je voulais dire émotionnellement parlant, comment vous sentez vous ?
— Bien.
— Bien ?
— Bah... Je ne vais pas non plus vous dire que je vais sauté au plafond !
Aux réponses sèches de Cal ainsi qu'aux attitudes corporels de ses patients, Wild songea que cela n'avaient rien d'hasardeux.
— Je vois..., soupira l'homme à lunettes en redressant celle-ci sur son nez. — Il s'est passé quelque chose de particulier aujourd'hui ?
Les deux expert en mensonge changèrent simultanément de position. Un point sensible venait d'être touché... Wild changea de tactique et interpella sa deuxième patiente en espérant plus de coopération de sa part.
— Gillian ?
Un silence puis...
— Andrew est passé au bureau...
— Andrew ? Votre compagnon ?
— C'est ça.
Le psychologue remarqua la mâchoire de Cal se contracter et s'empressa de le faire réagir sur le sujet :
— Un problème Cal ?
— Comme tout le monde, ironisa t-il, alors que le psychologue lâcha un soupir amusé. Wild ne s'attarda pas sur ces dires et continua avec Foster.
— Depuis combien de temps êtes-vous avec Andrew, Gillian ?
— Ça va faire… 1 mois.
— 1 mois de trop…, marmonna Cal pour lui-même.
— Que fait-il dans la vie ?
— Il est instituteur dans une école primaire.
Un léger sourire apparut sur les lèvres de Foster, Wild en prit note.
— Bien. Et... que faisait votre ancien petit-ami ?
— C'est un peu compliqué… mais pour faire court, il s'occupait d'enfants en difficultés.
— Je vois que vous aimez vous entourer d'hommes qui apprécient les enfants et qui leur offre une certaine protection, remarqua le psychologue souriant.
— C'est vrai…, approuva t-elle avec un léger rire. Je n'en avais jamais fait le rapprochement…
— Il n'est pas impossible qu'à travers ces hommes là vous cherchez à vous sentir rassurer et protéger. Vous m'aviez dit avoir déjà été mariée ?
— Oui. Alec… Il travaillait comme haut fonctionnaire dans le département d'état…
À la description de son ex, une expression de tristesse fuita sur le visage de la jeune femme. Une émotion que Wild capta avec plus au moins d'interrogation. Il sembla réfléchir et pour approfondir ses pensées, poursuivit :
— Combien de temps avez-vous été mariée avec lui ?
— Plusieurs années…
Il comprit qu'en ne donnant pas de chiffre, elle utilisait un système de distanciation afin d'éviter le sujet. Désireux d'en savoir plus, il posa la question ultime :
— Pourquoi avoir divorcé ?
Elle se figea. Plus aucun mots ne sortis de sa bouche. Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas répondre à la question mais c'était simplement qu'elle n'en avait pas la réponse…
— Si je vous pose cette question, c'est parce que je ne pense pas que le fait que vous ne pouviez pas avoir d'enfant ensemble soit la seule raison de votre séparation.
Wild marqua une pause puis enchaina :
— Au fond de vous, vous vouliez que votre relation perdure puisque vous avez décidé d'adopter. Ce qui prouve que vous l'aimiez profondément. Je pense qu'il y avait autre chose... Quelque chose de lui que vous ne saviez pas, une partie de sa personnalité qu'il vous cachait…
Elle ferma ses yeux. Il avait réussi à fissurer sa réticence de s'ouvrir à ce sujet pénible.
— Alec..., soupira t-elle avant de plonger son regard incertain dans celui attentif du psychologue. — Alec se droguait...
Elle avait réussi à le dire avec une pointe d'amertume dans sa voix. Wild savait que c'était un aveu difficile mais nécessaire. N'aimant pas ressasser le passé douloureux de son amie, Cal réprima son ressentiment par une petite moue de sa bouche en restant en retrait dans la conversation.
— Au départ je n'étais pas au courante. Bien que parfois il adoptait des comportements étranges... Je ne m'en formalisais pas plus que ça. Je pensais que c'était peut-être dû à son travail. Je sais qu'ils sont parfois mis sous pression... Jusqu'au jour... où je suis rentrée plus tôt que prévu et que je l'ai vu...
— Se droguer ? termina Wild pour sa patiente en difficulté.
— Oui... Par la suite, il m'a avoué son addiction à la drogue. Nous en avons longuement discuté... Je lui ai dit que je serai là pour lui, que je le soutiendrai dans cette épreuve. Je l'ai même convaincu d'aller voir un thérapeute et des groupes d'aide pour essayer d'affronter cette maladie mais…
— Il a replongé ?
— Plusieurs fois...
— Vous vouliez le sauver, mais ce fut un échec. Et un jour, vous avez pensé que vous ne pourriez plus rien pour lui. Que vous aviez déjà mis trop d'effort pour sauvez ce qui restait de votre couple. Bien qu'au fond de vous-même, je pense que vous saviez que cela se finirait ainsi...
Gillian ne répondit pas, mais son visage cautionna ses paroles.
— Après ça, vous avez préféré chercher un autre profil d'homme. Celui qui vous protège et non pas le contraire. Comme avec votre ami, il est là, vous protège, vous soutient. Vous avez besoin de lui comme il a besoin de vous, allégua t-il d'un geste de la main pour appuyer ses propos.
— Depuis que nous nous connaissons, Cal… a toujours été là pour moi dans chaque moment de ma vie... Et je l'en remercierai jamais assez d'être... présent tout simplement..., confessa posément Gillian.
Suite à cet aveu, Cal ne put s'empêcher d'émettre un raclement de gorge avant d'effectuer un changement de position corporel. Wild comprit que les propos sincères de la jeune femme avait dû le toucher mais qu'il ne souhaitait pas l'afficher publiquement. Il nota quelques mots sur son carnet, regarda Cal et l'interrogea :
— Et vous Cal ? Vous êtes marié ?
— Divorcé.
— Combien de temps ?
— 14 ans.
— Précis comme chiffre.
— J'voulais un chiffre rond mais c'est elle qui n'était pas d'accord.
— Je vois..., souffla rieur Wild. Quelle était sa profession ?
— Avocate.
— Vous avez eu des enfants ?
— Une fille.
Par ses réponses expresses, le psychologue comprit que son patient tentait d'être le plus concis possible afin qu'il ne puisse pas émettre une analyse clair sur son profil. Bien évidemment... c'était mal le connaitre.
— Quel âge a t-elle ?
— 16 ans.
— Vous vous êtes marié parce qu'elle était enceinte ou...
— Par amour ?
— Oui.
— Je l'aimais.
— Et pourquoi avoir divorcé après 14 ans de mariage ?
Cal garda le silence. Pourquoi répondre... Wild le regarda faire, et exposa :
— Je ne pense pas que la raison de votre séparation soit dû par la cause d'une infidélité. Vous êtes incapable de faire souffrir une personne en la trompant. La confiance semble être quelque chose de très important à vos yeux... Je pense plutôt que votre côté sur-protecteur a repris le dessus. Vous avez sans doute tellement voulu qu'elle ne puisse pas souffrir, comme le monde qui l'entour, que vous l'avez étouffé. Ou bien peut-être qu'elle ne pouvait tout simplement plus gérer votre recherche intempestive de vérité...
Pour couper court aux vérités dérangeantes, Cal répliqua :
— Elle préférait les grands bruns.
— Votre fille vit bien votre séparation ?
— Nous faisons en sorte de garder de bonne relation pour ne pas qu'elle puisse en subir des répercutions. On fait des sorties en famille et parfois on fête Noël ou Thanksgiving ensemble... On est une famille.
— Comment définiriez-vous votre relation avec votre fille ?
— On est proche. Elle peut me parler de tout, elle sait que je ne la jugerai pas.
— Vous avez dû établir un lien très fort avec elle comme avec Gillian. Un lien pouvant parfois attiser la jalousie de votre ex-femme.
Gillian tiqua à ses mots alors que Cal ne les réfuta pas.
— Bien que je suppose que celui-ci peut être par moment très conflictuel. Vous ne pensez pas la sur-protéger un peu trop par moment ?
— Je suis un père. Je la protège c'est mon devoir.
— Qu'en pensez-vous Gillian ?
Le psychologue venait de focaliser son attention sur sa patiente. Surprise par cet intérêt soudain, elle chercha quoi pouvoir dire et balbutia :
— Je n'ai pas vraiment à donner mon avis... Je suis juste une amie, c'est sa fille...
Wild tourna son regard sur Cal.
— Cal, comment détermineriez-vous la relation entre votre fille...?
— Emily.
— Emily et Gillian ?
— Je ne sais pas…c'est... Elle est une sorte de deuxième mère.
Il avait prononcé ces mots avec une telle rapidité et un tel sérieux que cela avait fait bondir le coeur de son amie dans sa poitrine. Il le pensait vraiment…
— Je n'irai pas jusque là, répliqua Gillian, d'un sourire gêné.
La réaction de Foster intrigua Wild. Il la désigna, comme à son habitude avec son stylo, et lui demanda :
— Pourquoi vous sentez-vous gênée par les propos de Cal, Gillian ?
— Heu...c'est juste que...
Elle bafouilla et se toucha mécaniquement le front. Un signe de sa gêne immédiate. Cal le remarqua et exprima un air d'incompréhension à ce fait.
— Je suis plus une amie ou une confidente qu'une sorte de mère...
— Arrête Gillian... Tu sais très bien que pour Em' tu es bien plus que cela ! rétorqua le père dans la seconde.
— Cal...
Le psychologue les observa faire. Il s'imposa même de ne pas parler pendant un instant avant de reprendre :
— Gillian, pourquoi avez-vous dû mal à accepter le fait que pour Cal vous occupez une grande place dans sa vie ainsi que dans sa famille ?
— Et bien je... je suis une amie et...
— Tu es bien plus que cela..., murmura l'expert en mensonge en fixant un point invisible au sol. Wild intercepta ces paroles sincères ainsi que les expressions gênés des deux amis qui s'en étaient résultées. Ce n'était pas encore le moment. Pour le bien de ses patients, le psychologue bifurqua sur un autre sujet :
— Revenons à Emily... Cal, cela vous arrive t-il de discuter de votre vie privée avec votre fille ?
— Oui, parfois.
— Hmm... mais est-ce que cela vous arrivent-ils de parler de vos relations amoureuses ?
— Elle me pose des questions mais je ne préfère pas la mêler à… ça...
— Ça ? répéta Wild alors qu'il avait dû mal à prononcer le mot.
— Oui enfin vous voyez..., répondit-il, d'un geste lasse de la main.
— Cal... Après votre divorce, avez-vous déjà eu une relation sérieuse ?
— Je ne sais pas si on peut dire qu'elle était sérieuse, mais...
— Vous teniez à cette personne.
— Oui...
— Vous en avez eu beaucoup ?
— On peut dire que mon agenda à presque atteint le "Z", stipula t-il avec un air sérieux.
Une révélation qui arracha un demi-rire au psychologue en songeant que son patient usait encore de l'humour comme moyen de protection. Il gribouilla des notes sur son carnet et demanda :
— Pourriez-vous dire que vos relations sont éphémères ?
— Oui.
— C'est vous qui les quittez ou elles ?
Cal resta silencieux quelques secondes. Il connaissait la réponse mais le dire à haute voix sembla être une épreuve pour lui. Pourtant il s'agissait d'une vérité...
— La plus part du temps c'est moi qui coupe court aux relations.
— Je suppose que votre type de femme sont celles avec un grand tempérament, avide d'indépendance, imprévisible, cherchant à tout contrôler, chose que vous avez dû mal à faire vous-même. Vous savez qu'elles vous quitteront un jour où l'autre, ce qui vous évite de les blesser. Dès que vos relations deviennent plus sérieuses, vous préférez fuir parce que vous pensez que vous pourriez vous attacher à cette personne et la blesser par ce que vous êtes. Vous refusez qu'une autre personne puisse souffrir par votre faute. Vous tentez par la même occasion de vous protéger. Et en n'intégrant pas Emily à vos histoires de coeur, vous la protégez d'un attachement qu'elle pourrait perdre comme vous et votre mère. Vous avez peur que cette histoire ce réitère donc vous préférez fuir que d'être une nouvelle fois confronté à cette sorte d'abandon dissimulé. Comme avec votre ex-femme. Refuser de voir la réalité en face et fuir la vérité. Un fait quelque peu contradictoire puisque vous la chercher.
Bien que pour le moment vous ne semblez pas vouloir la trouver puisque vous omettez complètement le fait qu'elle se trouve juste devant vous.
À ce long monologue, Cal plissa ses yeux, ouvrit sa bouche, et ne sachant quoi répondre la referma tout aussitôt. Désireux de relancer la conversation, Wild demanda :
— Quel regard Emily porte t-elle sur votre relation ?
— Que voulez-vous dire ? l'interrogea Gillian curieuse.
— Avez-vous déjà discuté de Gillian avec Emily, Cal ?
Cal gratta instinctivement son oreille à cette question. Gêne ou vérité ? Wild opta pour les deux.
— Je suppose que cela veut dire oui. Je pense que..., commença à dire l'homme en ôtant ses lunettes pour porter une branche à sa bouche et mimer une expression de réflexion. — Je pense que votre fille a compris depuis bien longtemps ce qui se passait entre vous. Et qu'elle a déjà dû vous dire son point de vue mais que vous avez préféré ne pas l'écouter et refouler vos émotions comme vous l'avez toujours fait, que de prendre le risque d'être… heureux. Certainement par habitude puisque c'est le seul schéma que vous connaissez, mais surtout parce que vous avez peur qu'on vous l'arrache. Vous savez qu'il est fragile et vous êtes effrayé à l'idée d'être celui qui le brisera. Depuis la mort de votre mère, vous vous sentez coupable du malheur de toutes les personnes qui vous sont proches. Alors le seul moyen que vous avez trouvé pour les garder auprès de vous c'est de les sur-protéger. Une façon pour vous de leur dire que vous les aimez, bien qu'elles ont parfois dû mal à comprendre votre façon d'agir.
— Elles sont tout pour moi. Je ne pourrai pas vivre sans elles, affirma Lightman avec un regard sincère ancré dans celui du psychologue.
— C'est une vérité qui est partagée Cal, répondit Wild souriant. Il dériva son regard sur Gillian effectuant une micro-caresse sur sa main et songea que les gestes révélaient nos pensées.
— Il faut que vous compreniez que certaines vérités ne sont pas seulement que le résultat de mensonge, de remord, de répulsion, ou de ressentiment... Certaines vérités peuvent aussi provoquer bonheur et joie.
— Comme ? rétorqua Cal septique.
— L'amour. Peut-être avez-vous dû mal à me croire mais le sentiment amoureux est peut-être l'une des seule chose qui pourrait...
— Me sauver ? proposa t-il de manière presque ironique.
— J'allais dire vous aider, mais si c'est comme ça que vous le voyez... Vous pensez être un homme brisé ?
— Je préfère dire que je ne suis pas fréquentable.
— J'aimerais savoir... Pourquoi avoir fait le choix de ce métier ? Étudier les expressions, les gestes, les paroles... Je sais que le suicide de votre mère est en rapport mais n'y a t-il pas une autre raison…
Cal émit une petite moue de sa bouche, croisa ses mains sur son ventre et répondit :
— La vérité est la seule chose qui ne peux pas me trahir.
— Parce qu'elle est ce qu'elle est. La vérité est la seule chose à laquelle vous pouvez vous rattacher. Elle est à la fois imprévisible et inébranlable. Et peut importe la souffrance qu'elle révèle, vous avez besoin d'elle parce que vous avez trop souffert des mensonges dont vous avez été soumis étant enfant.
— Ma souffrance n'a pas d'importance.
— Pourquoi minimisez vous à chaque fois votre vécu, pourquoi refoulez vous ce que vous êtes ?
— Tout le monde souffre.
— Oui mais... à cet instant, nous sommes ici pour parler de la votre. Cal...
Wild pinça ses lèvres.
— Je veux que vous me parliez de votre enfance.
Cal se raidit. À cet instant... il voulait être à des milliers kilomètres d'ici.
— Parlez-moi de votre mère.
— Je..., Cal s'apprêta à refuser lorsqu'une main se glissa dans la sienne. Il tourna son regard et découvrit le visage de son amie l'encourageant à parler. Il déglutit. Wild, qui avait vu le geste, l'incita d'une voix posée :
— Décrivez-la moi.
Lightman sembla réfléchir quelques secondes puis débuta d'un regard perdu dans le vague :
— Elle est... elle était belle...très belle...
— Continuez...
— Elle avait de long cheveux blond et... les yeux bleus très profond...
Alors que Cal tentait de décrire sa mère disparue avec précision, Wild remarqua ses tempes se contracter à vive allure.
— Elle avait un splendide sourire... elle était magnifique...
— Comment était-elle avec vous ?
— Douce... aimante, protectrice... Une mère.
— Elle vous manque.
— On perd tous quelqu'un un jour ou l'autre.
Une nouvelle digression sur ses sentiments... Le psychologue voulut lui faire comprendre que sa douleur valait autant que n'importe quelle autre personne. D'un air compatissant, il allégua :
— Lorsqu'on perd quelqu'un de cette manière... aussi brutalement on n'en sort jamais indemne. Est-ce qu'encore aujourd'hui vous essayez de comprendre pourquoi elle s'est donnée la mort ?
— J'ai compris que le suicide est une affaire d'interprétation. Que la seule personne pouvant le comprendre est celle qui se donne la mort.
— C'est pour cela qu'à travers votre travail, vous tentez de combler ce manque de réponse en cherchant d'autre vérité que celle-ci puisque vous savez qu'elle en a aucune.
— Surement...
— Parlez-moi de votre père.
— Il n'y a rien à dire sur lui, rétorqua t-il vivement, ne souhaitant aucunement aborder ce sujet.
— Il a brisé une partie de vous. Je pense qu'il y a beaucoup de chose à dire sur lui. Il était violent avec vous.
L'expert en mensonge garda une posture fermée. Cela n'arrêta pas le psychologue qui enchaina :
— Et avec votre mère d'après ce que vous m'aviez dit. Le faisait-il même lorsqu'il n'était pas ivre ?
Gillian caressa la main de son ami qui soupira et lâcha :
— Il ne s'en privait pas si c'est ce que vous vouliez savoir.
— Cherchait-il le moindre prétexte de provocation pour voir jusqu'où vous ou votre mère étaient prêt à aller ?
— C'était son jeu favoris... Un verre mal rangé, un regard de travers...
— Il vous provoquait pour voir vos émotions. Chose que vous utilisez pour une autre cause. Pouvez-vous me raconter une anecdote sur ces provocations.
Cal chercha un souvenir qui avait marqué son enfance et malheureusement, ce n'était pas le choix qui lui manquait. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux et relata :
— Une fois... il était rentré plus tôt que prévu...
— Il avait bu ?
— Il y avait un bar juste à côté de chez nous... Il était rentré dans un état pas possible... Ce jour là j'avais cassé un vase qui n'avait aucune valeur... même pas sentimentale. C'était un accident, je courrais dans le couloir et il est tout simplement tombé... Dès qu'il est entré, il l'a vu... Je m'étais caché dans un coin pour ne pas qu'il puisse me voir...
— Qu'a t-il fait ? quémanda Wild en prenant des notes.
— Il a crié le nom de ma mère... Pour qu'elle vienne plus vite, il utilisait toujours la même phrase: "Louise ! Viens ici toute suite où j'prend le gamin!" Elle est venue... elle ne savait pas que j'avais brisé le vase... Mon père l'a regardé... Je n'oublierais jamais ce regard et cette expression de haine..., conta t-il avec dégout.
— Que s'est-il passé ensuite ?
— Il lui a demandé si c'était elle la coupable.
— Qu'a t-elle répondu ?
— Oui..., dit-il avec un regard direct alors que Gillian avait resserré son emprise. Même dans le silence, elle souhaitait lui montrer qu'elle le soutenait dans cette épreuve. Parce que pour lui cela en était une...
— Il l'a frappé ?
— Il l'a regardé puis bousculé violemment contre un mur et... Il l'a cogné de ses poings sans relâche...elle criait... elle lui suppliait d'arrêter... mais il continuait de plus en plus fort...
— Vous avez regardé sans pouvoir rien faire, conclut Wild en observant son patient se débattre avec ses pensées douloureuses.
— Je ne pouvais pas l'entendre crier, j'en pouvais plus alors…
— Vous vous êtes interposé.
— Oui... Il m'a repoussé violemment...je suis tombé sur le sol. Elle criait... Je ne pouvais pas... Je lui ai hurlé d'arrêter... mais il continuait... Et le seul moyen que j'ai trouvé pour le stopper c'était de lui crier que c'était moi le coupable... pas elle.
— Et ensuite ?
— Il a relâché ma mère, il y a eu un long silence... très long silence... Il s'est retourné lentement vers moi... Il m'a regardé avec un air meurtrier... j'ai cru que j'allais mourir...
— Il vous a battu ?
— Il m'a pris par le bras, il m'a entrainé dans le salon... ma mère criait pour qu'il me laisse tranquille, elle ne pouvait pas bougé à cause des coups... Il a fermé la porte... je... Il s'arrêta dans son discours comme si, en parlant de ces faits, il pouvait revivre la scène en directe.
— Prenez votre temps, tempéra le psychologue.
— Il a ancré son regard dans le mien et il m'a simplement dit que j'allais regretter d'être né... Que depuis que j'étais là je ne lui apportais que des emmerdements, que je ne servais à rien, que j'avais ruiné sa vie... que tout ce qu'il lui arrivait c'était de ma faute... Il a sorti sa ceinture et... il m'a dit d'enlever mon t-shirt.
— Vous l'avez fait ?
— Non, j'étais totalement paralysé...
— Vous aviez quel âge ?
— 11 ans.
— Qu'a t-il fait ?
— Il a pris une bouteille d'alcool...il l'a bu, il l'a reposé puis il s'est approché de moi, il a retiré mon t-shirt, il m'a dit de me retourner. Je ne l'ai pas fait.
— Pourquoi ?
— Je ne voulais pas lui être soumis, je voulais voir son visage pour lui montrer que je n'avais pas peur... Je voulais qu'il me regarde droit dans les yeux pour qu'il ait conscience de ses actes et de ce qu'il était. Mais il m'a clairement fait comprendre que si je ne le faisais pas, il frapperait ma mère. Donc je me suis retourné et...
Cal ne termina pas sa phrase mais le dégoût sur son visage laissait deviner la suite de son discours. Wild remarqua le regard perdu de son patient et décida de l'interpeller.
— Cal.
Le psychologue répéta une seconde fois son nom lorsque le concerné le fixa soudainement comme s'il revenait d'un cauchemar lointain. Détenant enfin son attention, Wild proclama d'un ton posé :
— Tout cela n'est pas de votre faute.
Cal contracta sa mâchoire et ne prononça aucun mot. Il n'était pas d'accord avec cet argument et il ne le serait jamais.
— Vous n'avez strictement rien à vous reprocher. Vous étiez petit...
— J'aurais dû la protéger.
— Ce n'était pas votre rôle.
— Elle est morte.
— Elle est morte à cause de votre père et surement parce qu'elle avait depuis longtemps des pensées suicidaires, dû à son propre passé ou autre. En la plaçant dans un hôpital psychiatrique vous l'avez protégé. Ce n'est pas une chose donnée d'envoyer son propre parent dans ce genre d'institut. Vous avez fait tout ce que vous pouviez. Votre mère était juste… trop fatiguée pour se battre. Elle vous aimait.
— Si elle m'aimait, elle n'aurait pas fait ça, réfuta t-il presque haineusement.
— Peut-être ne voulait-elle pas que vous voyez sa souffrance... Peut-être pensait-elle que vous méritiez un autre amour, une autre chance...
— ...
— Je crois qu'on va arrêter là pour aujourd'hui.
Wild posa son carnet à proximité pour observer les deux amis, main dans la main, le regard livide. Il se leva et proclama :
— Je vais vous raccompagner et on reprendra notre échange la semaine prochaine. D'accord ?
Gillian acquiesça silencieusement alors que Cal sembla totalement chamboulé depuis le ressassement de ce souvenir douloureux. Foster lui souffla quelques mots au creux de son oreille pour que l'expert en mensonge reprenne doucement contact avec la réalité. Il leva en même temps que son amie qui encercla son bras pour le soutenir. Wild esquissa un petit sourire et raccompagna ses patients jusqu'à sa porte. Ces derniers quittèrent le bureau du psychologue lorsque celui-ci interpella Cal:
— Vous méritez d'être heureux Cal... N'ayez pas peur...
Lightman resta impassible. D'un volte-face, il se dirigea vers l'ascenseur en compagnie de sa meilleur amie toujours à ses côtés...
À SUIVRE...